L’inachevé de la joie – 37

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Rue Drouart, Montréal, Québec
45,43941, 12,32735


Les souvenirs se condensent, s'enchevêtrent,  se définissent et forment la maison de bois et de briques.

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Habiter, c'est accueillir.

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Ce qui est habité, le lieu à habiter est-il dans la même dimension du lieu que l'espace parcouru? À partir de ce qui est habité, je puis me projeter. Le lieu habité avec lumière, sa forme permet une extrapolation, diffuse ses éléments dans les autres lieux. Le corps qui habite reçoit du lieu habité une certaine dimension, une forme qui l'accompagne.

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La maison dans l'espace-temps, au même lieu,  où il semble que rien ne bouge, un rocher dans l'eau-évènement.

Le lieu habité, en sa lumière, ouvert et fermé, des paroles y résident qui semblent disparues, mais demeurent entre les murs protégeant du froid et de l'extrême chaleur.

Les images qui me viennent sont aussi celles des actes des personnes ; tournoyant de leurs présences.

Leurs présences en tourbillons autour de moi.

Dans les évènements de ces lieux habités, le corps, ses gestes et ses paroles, vivant, mobile d'un lieu à l'autre, en ses propres tourbillons.

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Tremblement de terre Turquie, Syrie, février 2023

Au cœur du tremblement de terre l'habitant, et l'habité effondré en lui et hors de lui. De l'effondrement de la maison, l'habitant tremblant de tous ses membres.

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Les éléments de l'habité et sa forme se prolongent dans l'espace-temps, accompagnent le corps, quelques minutes, quelques heures. L'habitant y reviendra. L'habité signe du retour. 

Le signe du retour habité
Oui, je reviens dans la nuit
Mais si effondré l'habité?

Ainsi la terre, en ses mouvements de lave, de contraction froide, de glissements d'écorce, de plaques tectoniques, si lentement,  aux lieux des failles, le tremblement dans les membres de l'habitant, dans ses histoires, dans ses os,  jusqu'à l'effondrement de sa maison, inhabitée. 

La maison habite l'humain qui l'habitait.

Si l'effondrement arrive de cette maison, au plus intime, en soi.

Devant la maison effondrée les voix des proches, muettes. Voix disparues, habitées. Les décombres, les odeurs de mort, la poussière, les débris au-delà du carré de la maison, dans la rue, dans la cour.

Debout devant ce qui reste avec en mémoire les pièces de la maison, les meubles, les couleurs des murs, les tableaux, l'horloge, la lumière du matin.

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Ce qu'il reste dans ma mémoire du split-level de mon enfance rue Drouart, de la forme des pièces, de l'agencement des chambres, des paliers, des escaliers.

Le split-level s'explique par ses demi-étages. Bungalow qui donne du luxe au salon par la hauteur des plafonds, son volume.

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Si l'habité m'accompagne dans mes marches, dans les boisés, dans les prairies, dans les rues, à bicyclette ou dans l'autobus : la sensation de la maison.

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Je pense dormir
Où l'effondrement d'un corps
Vibre encore dans ma mémoire

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Le foyer en pierres des champs. Comme une petite falaise, dans sa caverne les feux. Les étincelles sur le tapis.

Le foyer, l'habité.

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Dans la marche, au-delà du seuil,  l'habité est transporté avec soi. Le sédentaire et son lieu, où le retour, pour la nuit et les nuits.

Lieu, comme en soi, se défaisant, se construisant, avec le corps, en ses dimensions,  le prolongeant. L'habité : une prolongation et une limite aux gestes.

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Si je peux dire que Glissant (Édouard Glissant) a toujours marché sur  une terre de tremblements, je peux dire que j'ai toujours marché sur un sol de glaise, instable, glissant, mal assuré.

Marche dans la glaise, incertitude de mes écrits et de mes marches. La boue et la glaise dans mes marches. La glaise sur laquelle on ne peut édifier les murs de pierres.

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L'habité non pas comme un cadre ou un espace abstrait codifiable, mais avec ses habitants et leurs trajectoires d'espace-temps, lieu qu'ils habitent, qui accompagnent leurs déambulations, vers le retour ou  au départ, comme un mythe ou peut-être un rêve. 

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Le foyer de pierre de ma maison d'enfance et la glaise de mes pas. Mes pas de glaise sur le plancher de la salle familiale (le den).  Mes pas laissant un résidu concret, une trace de boue, une lisière de terre sur le sol.

Sur le sol instable de glaise, mes pas dans les limites de la maison, glissant avec la Terre  dans l'espace, au sein de sa mémoire habitée.

Au-dessus du feu du foyer, la chaleur des pierres, contre ma main, leurs formes ( et la clé du foyer), issues des caldéras, des éjections de laves coulées en rivière de feu, dans le tremblement.

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Des personnages tremblent et transitent dans cette maison : le père, la mère, les fils, la fille.

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Du rivage, la falaise s'élance, en ardoise, noire, glissent mes pas sur le mur de pierre. Je m'assois, devant le feu, dans la glaise de mes pensées.

Pensées de glaise pour façonner un monde de mots?

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Cette marche dans la glaise est une marche dans l'incertitude que nous produisons, une marche oũ à tout moment la chute est possible, dans la terre elle-même, dans sa boue. Nous émergeons habillés de terre, habités par elle.

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Dans cette maison quelles étaient mes félicités?

Aller chercher le bois et les papiers journaux, préparer le feu, l'allumer avec une longue allumette. Me coucher sur le tapis et  entendreles pétarades des bûches.

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Le berceau de pierre et la machine à calculer.

Pour le calcul, la machine à calculer résonne sur la pierre, entoure le feu de son son,  déclenchée par les  mains agiles et précises, vieillissantes, du père. Le calcul envahit la pièce, aux rideaux jaunes, au tapis orange et brun, où assis, regardant le feu, dans la maison, demeure sise sur cette terre; avec elle, mon espace-temps, notre espace temps. Moi, lui et les autres, transportés, emportés dans cette maison qui nous suit de pas en pas une fois en son dehors, sur la même terre tournoyante, et nous, ce nous éphémère et passager, devant le feu, à attendre la fin du calcul, de la trajectoire de notre emportement, avec les machines et leur puissance de calcul sous les doigts, qui ne peuvent rien contre le mouvement qui nous fait. 

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Dans ma demeure d'aurore
Un jour les doigts de rose
Me prendront

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Les chiffres à la main écrits sur une tablette quadrillée ( appelée Ledger)  verte au feu jettée.
Mon visage est rouge.

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Les nuages rosés maintenant 
Derrière les vitres de ma fenêtre et de ma porte

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Photons de un million d'années sur ma peau
Je vis dans mon continuel  passé
Qui m'illumine de ses rosés
Qui me happe de ses aurores
Où j'ai été lumière des lieux
Où j'ai été la nuit de mes souvenirs

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Mes pas de glaise
Mes cils d'air
Mon espace de lumière 
Dans tous les lieux m'offre ses vivants
Je glisse dans leurs félicités

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La glaise fait mes pas
L'air mes cils
La lumière me fait espace
Chaque le lieu m'offre tous ses vivants
Je glisse dans leurs félicités

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Dans la maison imaginée incendiée, tremblante, oscillante, je ne vois que la structure de bois brûlée, les murs ont disparu, l'air de l'automne sur ma peau, l'odeur de bois mouillé calciné, j'avance vers l'escalier disparu, je vois le toît ébréché, un rectangle de ciel, mes pas font trembler la maison. Je risque l'ensevelissement, aux côtés des habitants disparus, mon corps enfumé, de plus en plus léger, se défaisant en plaques de glaises.  Le feu fait s'élever les scories des corps et des habitations, comme dans une histoire de guerre, la flamme embrasant sans que l'on ne puisse rien y faire, sinon après le feu issu  du foyer, parcourir la maison et emporter les images de sa forme.

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Le corps de glaise
Au coeur de la brûlure
Marchant avec la maison
Dans les pas d'une prairie
Aux ciels sans chemin
Mon cœur de terre expire
Les lignes de mes mémoires s'effaçant
Elles s'évanouissent avec moi
Respirant avec les disparus et les vivants
Les floraisons de leur printemps

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Le corps tout entier dans le geste, celui de marcher, de peindre les dessins de chevaux sur la pierre, ou d'écrire.

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La maison sans bruit
Est-ce le matin?
Sur le tapis doré pieds nus
Je suis debout
À regarder la lumière naître
Entre les longs rideaux du salon
Je m'assois pour respirer
Le sourire de ma mère

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Chat GPT

On dirait que c'est ce que fait l'écrivain, il assemble des mots, les ajoute  un après l'autre, pour former des phrases, mais ce n'est pas tout à fait ça, ses mots, ses phrases sont de son corps et de ses souvenirs, de ses expériences et de ses défaites, de la langue apprise d'un autre corps, issue d'un autre corps avec sa mémoire et ses sensations, données avec la langue qui n'est pas qu'un assemblage de mots, qu'il fait vivre de son imaginaire. Elle est aussi ses rires, ses sourires, ses pleurs, sa voix.

La voix et le corps de ce qui écrit, avec le corps et la voix.

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L'indéfinissable du vivant.

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N'est-ce pas parce que nous avons oublié notre relation au vivant, de toute part, que nous pouvons parler de Chat GPT comme une avancée majeure! Un grand pas pour l'humanité.

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Le corps dans l'habité, où l'écriture se produit, de sa main, de son bras, de sa respiration, sans contrepartie. Un jeu de formes inscrites en lui, et lancé, là où il vivra. L'aurore lissant les mots de ses nuits, son corps à l'arrêt ou en mouvement, en ce lieu, en souvenir d'une maison habité le long de ses phrases, avec ses pas de boue, jusqu'à la maison où il écrit, ayant laissé à la terre,  de pigments, de silices, de respirations, d'autres mots,et  son corps avec les autres vivants.

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La légèreté de la structure de bois brûlé, mes pas de boue sur le plancher saturé de décombres, entre les présences allumées puis éteintes, mes pas marqués, définis, par la terre. Sous un ciel entre des noirs affirmés, déployés, accompagnant ma marche, j'habitais, montant les escaliers, incertain de ma chute ou de mon essor, devenant progressivement de boue, lent, de plus en plus lent, me figeant là où le ciel rejoint le toit, où il pleut.

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Où se jouent les scènes de la famille, chutes, rires, tremblements, larmes , évanouissements, cris , vociférations des corps, entre leurs paroles, dissimulés ou présents, avec leur mémoire du bois, des briques, des tapis, des draperies, des tapisseries et des feux.

Dans le salon une tapisserie, décor de ruines romaines.

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Habité par des voix, mes souvenirs, en ce lieu, devant l'aurore.

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Homme de glaise
Maison debout

Couvert des signes de sa vie
De fleurs, de défaites, de blessures, d'enfance
Maisons de boues à la main façonnées
Aux toits de branches
Avant les pierres et le bois
Après les abris et les tentes d'os

Humains qui marchent se défaisant de leurs signes
D'autres images sur eux florissantes
Des fleurs, des herbes 
Ombres et montagnes, vallées et ruisseaux 
Emportant le paysage et la demeure
Traces d'eux dans chaque lieu parcouru

Humains qui font un signe
De glaise doucement le long des rives
Assis ou debout, sur eux et en eux les mémoires des passages 
Des frontières traversées des déserts bus

Maisons de boue formées de leurs mains
Humains de glaise faits de leur terre


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L'habitant de cette terre
En sa maison
Emporte avec lui
Ce qui l'habite


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Ce qui est avec moi
Pour être avec d'autres
Transporté
Au-delà des murs

Les parois translucides
Se dissolvent
En chaque pas 
Chaque herbe apparaît
Dans une autre main

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La maison n'est pas brûlée, elle est encore debout. Des vivants sont morts, ils sont des souvenirs, on disait ombres, des passants de pensée, où ils habitaient, avec moi, je les vois encore. Je sens les parfums de ma mère, les doigts jaunis du père. Le feu devant lui brûlant les papiers contaminent l'atmosphère de chiffres. Dans le salon, au-dessus des ruines romaines, le toit de bois et devant les ruines les hautes fenêtres habillées de drap d'or. Un fauteuil au dos haut, je lis la maison et les passages de ceux qui l'habitent.

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Ne pas oublier que la maison est réceptacle de mes joies.

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Maison de boue soudée à son lieu
Corps de glaise se défaisant lentement
S'incorporant à la terre

Corps de glaises terrestres
Avec la boue des murs
Contre moi et autour de moi

Sur ma peau de terre 
Les passages des astres
Mon corps et la maison 
À la terre amalgamés
Avec la lumière qui les a innondés

Habitant des lieux
Je les emporte et les donnes aux autres lieux

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Empreintes des lieux dans le corps
Autres lieux du corps sur la terre
Corps dissous lentement en chaque lieu
Les emportant avec lui dans sa maison de boue
Autour de lui ouverte sur lui
Rassemblant ses empreintes et sa mémoire des lieux
Les vivants inscrits en lui
Se défaisant en lambeaux de terre
Devenant terrestre à mesure de ses marches


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La rue, espace-temps, la maison, avec la rue, lieu habité, que je déplie dans ma mémoire, avec ses évènements soudés à sa forme, dite de boue ou de bois, de briques ou de pierres, dite d'homme de glaise ou de corps qui écrit,  dans la maison et avec elle, ses soleils et ses lunes, virevoltant, avec ses passagers, vaisseau, demeure encore, pour celui qui se souvient que tout ce qui vient à lui  est déjà du passé. L'aurore qu'il respire de ses rosés se termine avec l'espoir dans cette maison où il écrit que dans ce tournoiement, ceux qui habitent avec lui soient de cette terre, homme et femmes de glaise, tous leurs passages en eux, leurs drames, leurs larmes et leurs joies, fleurissant sur leurs corps, noués à eux puis se détachant d'eux, dans la terre, dans leur terre, en leur terre, ma terre.

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En somme le lieu de l'habité, une rue ouverte sur la lumière du lieu, où ses joies et ses douleurs, où le matin le soleil innonde le corps. Autour, dans les champs, il devrait y avoir des arbres fruitiers, des cultures, des oiseaux, des animaux. En sortant de la maison, l'on devrait pouvoir marcher pour ceuillir une part de ce qui est donné.

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Categories: Donné , En cours de publication , Essai , Montréal – rue Drouart – Nouveau-Bordeaux – Québec , Poésie , Récit , Site web , Web


Entièrement humain

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