L’inachevé de la joie – 24
Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Plage de l’Anse à la cabane, Millerand, Iles de la Madeleine, Québec 47.219581, 61.993269 Voici le sable Je marche sur le sable Était rocher falaises Se déplace se meut Dans l’eau Sous l’eau Mouvements ensembles Lignes vertes ondulées La main s’avance Au-dessus du sable Une fuite ordonnée Vers le rivage ou le large Tout ce sable autour de moi L'océan modèle Les rochers et les glaises tombées Les lançons et moi en une danse immergée Mon ombre indécise sur le sable En obstacle au soleil Au-dessus des eaux Qui ont fait ce lieu où les lançons se prêtent à mes jeux de lumière *** Contre-poème En plongée avec les lançons Au-dessus du sable À ma droite les rochers d’éboulis noyés Je ne trouve pas l’image Nuage, assemblée, banc, écoulement, rivière, feuillaison, petite nébuleuse Pour cette sensation À l’approche de ma main Leurs fuites, leurs mouvements coordonnés Par la pression de l’eau Argentés verts autour de moi Encerclement, grappe, gaz, nuée, Au large des millions Aux gueules des rorquals *** Je marche sur la plage de l’Anse à la cabane Et gratte de mes doigts la glaise grise et ocre Elle descend de la falaise Et s’amasse en bourrelets à la limite de la plage Au loin le cap et la côte rouge des iles de la madeleine Leurs creux et leurs cavernes où gronde parfois l’Océan J’ai suivi le rond de l’anse Pour pouvoir de mes mains Sculpter le visage qui n’apparaît pas encore J’aime la sensation de froid ductile de la glaise Je me salis les doigts et les paumes Pour offrir à la terre les traits de mes souvenirs *** Projet pour l’été 2023 Dans la glaise de la falaise, sculpter des visages, léchés par la marée haute, emportés par les marées d'hiver et les tempêtes. *** Pour un visage qui regarde la mer et l’écoute Jouit de voir la rive et la côte Et disparaît avec elle Pour un visage qui se souvient de la mer En ses traits qui s’accordent aux marées Qui sait que ses os sont faits d’iles Un visage aux vagues qui montent Terribles et dures contre la falaise Tombé dans l’Océan Quand le soleil ne répond plus à sa voix noyée *** J’aimerais ici même Faire un poème de glaise De ces visages Dans l’eau la glaise se défait Les doigts en elle Elle s’effiloche doucement dans le courant Sa couleur se mêle à l’eau J’aimerais que ce visage d’ocre Me regarde l’écrire De ses yeux vides avides du livre des poèmes Varia Sa couleur se mêle à l’eau et fait une encre J’aimerais que ce visage d’ocre Me regarde l’écrire Avec la couleur même de sa disparition *** La glaise tombe, s’écroule, s’écoule de la rive sur la plage qui s’agrandit de cette érosion et forme une anse plus creuse et plus échancrée. Au haut de la plage, le rivage est de la pierre rouge de l’ile, granuleux, plus résistant que la falaise de glaise. Un ruisseau se jette dans la mer au milieu de la plage depuis longtemps. Si on grimpe par son échancrure on retrouve les prairies merveilleuses des îles. Si je plonge de la plage, si mon visage entre dans l’eau, je vois le frétillement des lançons se déplaçant par milliers dans la lumière de l’été filtrée par l’eau de mer. *** Visages des naufrages Visages de glaise Visages dessinés avec elle en sa mémoire Emportés avec l'île *** De tous les côtés friable Comme nos mots et nos os Ile qui retourne à l’océan Qui ajoute à nos manques et nos mirages Là sur l’eau émergent les dos de baleines Nous ne sommes pas le souffle qui peut faire renaître chaque ile Où sont donc nos nerfs de visages nouveaux Nous emporterons avec nous ces mots qui nous manquent Pour être de la terre et de l’Océan Ce lieu se détache de moi En visages qui veulent me parler Avec les langages oubliés des rivages féconds *** Trois sœurs vont près de l’échancrure du ruisseau pour descendre à la plage. Le ruisseau plonge dans la glaise qu’il a façonnée et s’écoule vers l’Océan. Là au matin dans l’eau froide, retrouver la mer et sa baie. *** Être de son ile jusqu’aux os, par toute la peau, à l’aurore avec la falaise et le rocher qui s’érode, la glaise grise qui se fond à l’Océan lentement comme l’ile du Havre Aubert. *** Trois visages. Deux burinés de mer, et un buriné de terre. *** De la glaise de l’Anse à la cabane, je pourrais faire des visages approximatifs, très approximatifs, des ébauches qui ne seraient pas leurs visages. Ils seront emportés par les marées, comme tous les visages. Penser avec douleur que l’île pourrait devenir plage et se muer, seule consolation, en un sanctuaire où les espèces en disparition s’assemblent, loin des hommes. *** Le vent n’a aucune méthode Pour faire face aux corps et aux voiles Contre la falaise et avec les vagues Il s’applique avec folie S’amourache d’écume et de sable Soudoie la pierre pour qu’elle lui laisse son usure Affole notre raison Ne contient que notre air Enveloppe les iles de notre déraison à demeurer Accompagne la terre et la mer vers son pèlerinage vers nos visages Dit tous nos gestes et nos mouvements qui emportent *** J’emporte les lieux avec moi. Ils ne me retiennent pas, ne me détiennent pas. Ils offrent leur obscurité sans détention. Cependant, les chants d’oiseaux vrombissent contre l’acier des avions et font ma respiration. Je n’ai pas encore toutes mes danses et mes subterfuges, mais les lieux me stupéfient par la mémoire de leurs matières. Et je passe en elles, je me dépose en elles. *** Mon visage dans l’eau pour le mouvement des lançons, m’entourer, m’encercler. **** Les lançons me lancent Et m’enlacent dans l’eau saline Et sa clarté animale S’écartent et se rejoignent S’écoulent dans l’eau coulent Parmi eux En leurs ensembles ouverts Me nommant corps dans l’Océan Avec eux lançons frétillant je m’élance Masse claire qui disperse les eaux devant elle M’enveloppe de ses mouvements Ne se ferme pas sur moi Se rapproche de moi en m’englobant *** Silence de l’Océan ou silence de ma mémoire. Celui de l’Océan perturbé par le bruit d’un moteur, au loin. Celui de mes souvenirs peuplés de voix, de bruits et de chants. Silence à venir et silence de Marcel et François Hébert. De ces trois silences, je trouve une énergie. *** Silence que j’accueille, que j’entends, que j’ausculte, qui m’a été donné. *** L’art n’est que le moyen où l’anonyme que nous appelons artiste, en se maintenant constamment en relation avec une pratique, tente de construire sa vie comme une forme de vie : la vie du peintre, du menuisier, de l’architecte, du contrebassiste, où, comme toute forme de vie, ce qui est en question n’est rien de moins que le bonheur ***
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