L’inachevé de la joie – 20

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Séquence 20 - St-Félicité, Manoir des pins, Sentier du littoral
48.90112, -67.34073


	Pour une raison inconnue de moi, le paysage fluvial de la Gaspésie ouvre à la lumière. En ce sens des états de la lumière atmosphérique, dans le corps, pas seulement la pensée.

	Marcher sur ses glaces encore une fois.

***

	Érosion de soi dans l’érosion de la côte. Travail de la glace, du vent, des marées, contre le corps offert aux rivages.

***

	Ce qui me retient à ces lieux, aux flux d’images et de sensations de ces lieux - leur beauté - ma présence en eux

	Les lieux que l’homme habite ne sont pas nécessairement beaux, ils sont les siens. Les détruire c’est aussi le détruire.


***

	Le paysage riverain de la Gaspésie culmine à Forillon, qui condense toutes ses caractéristiques en une offrande de pierre, de mer, de vent et de vie.

Vue du Motel du haut phare.

***

Les pierres du rivage
Non pas peaux de déflagration
Aux taches orangées
Roulis des vagues autour de leurs arrêtes

Au départ de la marche
Pics des rochers dans la baie de St-Félicité
Le paysage de la mémoire se compose lentement
Pour coïncider au fleuve
Là-bas dans sa lumière


***

Le bord de mer de Gaspésie, mes pas sur les sables, les ardoises, entre les massifs d’églantiers, sur les algues, crevasses où des animalcules naviguent. Algues vertes, algues brunes, parfums d’algues, de mer, animalcules.


***

Animalcule dont je ne sais pas le nom 
Pour toute la lumière du fleuve

***

Toute la lumière du fleuve
Jusqu’à la falaise mouillée de brumes


***

Les ardoises, debout, couchées, en lamelles; galets sur les plages.

Marcher sur le rivage, parfois se cassent, ardoises envahies ou non d’algues, en leur creux, eau saline du fleuve, animalcules, ont dit aussi invertébrés.

La courbe de la plage, sable noir de ces ardoises, une avancée de pierre à son extrémité ( côté ouest), la marche sur la plage commence.

Le corps non pas seul, celui que j’imagine être le mien alors, le déposer dans le paysage avec ses animalcules, aux marées basses de la déambulation.

***

La rive
Où elle s’érode la Gaspésie
En feuillètements d’ardoises
En falaises noires et grises rencontrant les hautes marées d’automne


Le bruit de la guerre effacé en moi par le bruit des marées. Le ressac de la guerre en nous ‘qui en avions entendu parler ‘. Quelles sont les paroles de guerre que le ressac des marées couvre ( en moi)?

L’ardoise du cœur détachée, roulée mille fois, revenue, repartie, tournant pour écrire le débris, les scories, la lessive des passages de ces mouvements de guerre.

Ardoises et pierres de la Gaspésie, formées de volcans, strates, au vent, récits de rien, si ce n’est du rivage, des marées de ce lieu qui commence pour moi à St-Félicité

Cette félicité par où commence la marche sur le littoral de la Gaspésie.

Le littoral de cette Gaspésie du fleuve et de l'estuaire culmine à Forillon et avec le point d’exclamation du Rocher Percé.

***

Je peux voir ma déambulation près d’une falaise embrumée et mouillée, mais je ne peux la situer exactement le long de ma marche sur le littoral, ou à l’intérieur d’une marche.

J’ai la saveur et la tonalité du paysage à cet endroit, mais pas l’entièreté du parcours qui m’y mène.

***

Roche non pas touchée
Mais mouillée
Reçue de l’incessant des vagues
Des eaux salées des marées
Modelant, façonnant

L'humain  ne peut le faire

Pourquoi est-il capable d'une telle force de destruction, mais es incapable d’une puissance équivalente de renouvellement et d'édification? La mise au point de l’arme atomique a été complexe, mais sa puissance et la multiplication de sa puissance  n’est pas équivalente à ce que l’homme devrai utiliser pour changer sa relation à l’énergie et aux forces qui l’entourent afin d'entrer en relation circulaire avec elles, pour amorcer un lent mouvement spiralé et non en confrontation.

***

La réception du vent au torse, aux jambes, en hiver, le long des glaces, quand cingle la pluie, pour avancer le long des bruits de l’apaisement, les craquements des petits mollusques sous les pieds, comme si à chaque pas on détruisait des dizaines de vies. De ce vivant à consommer, à émasculer.

Il est nous, nous sommes en lui.

Le vivant comme une gifle. Nos heurts aux vivants, sous nos pieds. Mes prédations, nos moissons, nos arrachements, pour nos vies. 

Le saluer en ces lieux où l’horizon s’ouvre à la lumière. 


L’horizon de lumière
Où l’ardoise est lavée de nos pas
Les craquements aux pieds
Ne sont pas des fissures

Dans les lacs des marées basses
Cette vie qui nous résiste
Attends la fin de nos passages
Pour réapparaitre dans une splendeur que nous ne verrons pas

***

Le sentier du littoral qui va de St-Félicité à Grosse-Roches est surement un des plus beaux de la Gaspésie. Je ne peux en rendre compte complètement de mémoire. Je me dois d’y retourner.


****

Animalcule dans la flaque saline
Malgré mes effluves et mes regards
Me redonnant avec le chuintement des marées
Et les rêches odeurs d’algues
Un souffle de vagues

***
Comme issues des pierres
Les stromatolithe
Première forme de vie

Dans les flaques d’eau
Entre les ardoises
Théâtre d’animalcules 

La marée fait glisser l’eau vers le fleuve et mon pied
Quand elle dévoile les algues lisses 
En déséquilibre vers le salin qui vibre de vivants

***
L’eau saline
Entre les rochers
Où la danse des animalcules
Si loin dans les courants
L’espace sans frontière des vivants
Des fleuves et de leurs océans
Dans leurs berceaux de pierre

***

Oui, le fleuve est aussi d’eau salée

La courbe de la plage de St-Félicité
Me mène aux récits d’animalcules
Derrière les éperons d’ardoises
Le sable noir au pied
Se pencher sur chacun des berceaux que laisse la marée
Coule sur la peau le salé du vent
Malgré moi cette vie me dit ce lieu

***

Dans l’évangile selon St-Mathieu *
Jésus marche sur l’eau
D’un océan qui ne serait pas mer morte
J’aimerais tout le sel du vivant
Dans ma bouche et mon cœur conserver
Mais je ne suis que les os de mes mots
Qui sertissent le berceau de l’Océan

*Pier-Paolo Passolini


**

Le ruissellement du ruisseau
La rumeur du fleuve
Et son enchantement
Des glaces aux algues
L’espace qu’ils ouvrent
À la lumière des vivants
Autour de moi à tout instant
Dans cette marche sur la pierre des eaux

***

Pour l’écrire
Je navigue entre les glaces
De Matane à Rivière-au-Renard
S’assemblent, se chevauchent, se brisent les une sur les autres
Emportant rochers et algues
Coquilles et lambeaux de paysages
Essoufflés d’érosions

Que les hommes animent

***

Au même moment, ce moment qui n’est pas le même, où les coraux blanchissent un missile hypersonique s’abat sur l’Ukraine. Le lien entre les deux moments: moi, un homme.

Moi, mon corps, mes paroles qui n’avons pas su éviter ces afflictions, ces destructions.

Ce que je goute, ce que je manipule, les mécanismes et circuits que j’actionne sont tous les conséquences d’une destruction.

Les Kogi, gardiens de la terre. Ne pas la détruire selon eux impliquerait de ne la toucher que pour des cultures légères, sans impact, en laissant à chaque récolte, une offrande.

Cette façon de penser nous est devenue étrangère, j'ai tenté de la mettre en mots dans deux de mes livres Paroi et Esthétique de la disparition.


***

La marche avec les sensations des marées, l’écoulement vers le large, l’eau retenue entre les roches et les sables, le fleuve vers l’Océan. Mon corps qui se liquéfie et coule sa lumière vers la lumière. Dans la marche, à l’écoute des vagues, aux odeurs salines et lourdes, sous mes pieds, les craquements des pages d’ardoises et des ponctuations de coquillages.

Mais le littoral n’est pas un livre, même si on lit avec les cormorans, les eiders et les guillemots.


***

Contre-poème

Des animalcules, des coraux
Quand des enfants meurent
Quelle poésie s’agite?

Pendant que des enfants meurent
La beauté de notre berceau est détruite

Quelle est la vérité de cette poésie?
Quand elle parle de ce berceau de pierre
D’où surgit ma voix
En marche vers l’océan
Alors que les enfants sous les décombres crient


****

Contre-poème

De tous ces effacements, l’humain emporté
Quel sera son nom?

Qui suis-je au milieu de toutes ces disparitions?
Quelle est cette voix dans ce fracas?
Bien plus assourdissant que celui des marées et des orages

Quel est ce fracas dont mon corps est fait?

***

La félicité d’écrire ces lieux
De les parcourir en fermant les yeux
De les revivre en mots
La félicité d’écrire
Je voulais l’écrire ce matin

***

Animalcule égaré sur la plage
Avec ses souvenirs balbutiants
Devant Google Map
Ne plus savoir exactement l’au-delà de l’anse de St-Félicité
Entre les trous de mémoire

Revoir les eaux glissant sur les rochers
Le son des pas revient aussi
Dire que la vie contient aussi sa négation
Au-delà d’un passage où il faut grimper à marée haute

L’animalcule aux quatre membres
Sait que l’eau le ronge d’un incessant mouvement
Il n’est pas de pierre, mais d’eau

Marcher sur la plage hiver, automne, été
Tout le littoral le parcourir
De la Gaspésie, flocons de paysage dispersés
Sables gris et froids pour les algues et les glaces

De St-Félicité à Tourelle
Le rivage de mes marches
Dans ma mémoire en strates 
L’ardoise en récits lessivés et arrachés à prendre dans la main

**
D’une vasque de pierre à l’autre
Coulant lentement
Aux animalcules enfermés 
Moi dans l’athmosphère
Eux dans leurs eaux

Les rochers bruns à la peau vieillie et salée
Se prolongent en sables foncés
Jusqu’à un éperon d’ardoise
Où mes pieds peuvent glisser
Sur l’écoulement lent des marées

Les vagues avancent avec le fleuve vers ses lumières
Elles me conjuguent avec les océans entiers
Où ma marche ne peut se poursuivre

Je rencontre dans l’air
Le salin que les vivants de mer agitent
Ils se meuvent avec rapidité
D’un bord à l’autre de leurs bassins

L’eau retenue entre les pierres
Est l’atmosphère qui me gorge de leurs mouvements

Je parle de toute la plage et de tout le mouvement
Dans mon souvenir liquide j’avance vers Grosses-roches
Où il se déverse dans d’autres mains

***

Marche avec un long morceau de bois courbé et mince, à l’écorce enlevée

Sur le littoral toutes ces échoueries ( de bois), venant, je l’imagine, de la Côte Nord.

***

Ce qui est enlevé de soi par la lumière
Se perle de mots

***

Venue du nord
La branche échouée et blanchie
Dans la main soulevée
Longue et courbée
Pour tracer avec sa pointe au loin l’Océan

L’Imaginaire de l’Océan
L’océan le contiendra
Avec tous les océans dessinés par lui et avec lui

***

Je n’oublie pas les oiseaux
Non je ne les oublie pas
Mon regard se projette vers eux
Au large assemblés ou seuls
Signes que je suis vivant avec eux

***

De la branche inventée du poème
Je ne peux faire ce symbole de paix
Tenue dans les airs par ma main
Je la laisse flotter sur le frasil
Elle se courbe de rivages et de flottements
Dans les glaces et les graviers
Se dépose sur le sable noirci de St-Félicité

Ma félicité vient du paysage marin et de sa rencontre
À m’immerger en ces lieux
À flotter entre leurs couleurs et leurs odeurs
J’aimerais être un animal de cette paix
Mais je suis saisi de guerres

***

Sur google map je regarde St-Félicité, pour faire correspondez mes souvenirs-images et les ausculter. Nom prodigieux de la Gaspésie : La croche du Criard, L’Anse à la croix, Cap à la Baleine, Grosse-Roches, Ruisseau à la loutre, Ruisseau à Sem, les Méchins, L’Anse pleureuse.

Parcourir la Gaspésie c’est aussi voyager dans ces noms délicieux, si proche du paysage, si poétiques!

***
 
Après la plage de St-Félicité il faut  grimper un petit promontoire à marée haute ou montante pour aller vers L’Anse-à-la-Croix.

La Félicité du paysage Gaspésie commence pour moi ici, mais elle est aussi dans ses noms parcourus à pied ou en voiture, jusqu’à Cap-des-Rosiers et Forillon.

Mes marches se sont arrêtées entre Tourelle et Cap-au-Renard.

***

Je dois tourner mon regard vers le fleuve. Ce qu’ils appellent la mer. 

***

Feuillétements d’instants
Ma mémoire de l’espace 
Dans l’espace
Chacun de mes gestes à retrouver
Dans les strates du paysage
Se défaire du temps ( le laisser dans l’espace)
N’est pas se défaire du corps
D’un point à l’autre de ma vie
Où l’offrande se termine

***

En lisant le pamphlet du Sentier du Littoral ( St-Félicité)  j’air recomposé quelques un de mes regards sur la côte Gaspésienne de falaises et de plages de galets et de sables, d’anses et de rivières. De St-Félicité, on voit à l’horizon la rive haute, on imagine son défilé, elle apparait dans sa splendeur immobile , noire et grise, brumeuse, je ressens de nouveau sa lumière particulière, sa teinte.

Une teinte de gong lente émergeant du fleuve, comme son extension et sa limite, non pas jusqu’à sa fin, mais vers son achèvement, à Forillon.

Splendeur du paysage de Cap-des-Rosiers - Motel du Haut Phare.

***

De ce qui s'est échoué sur la plage
Non pas le paysage
Ni moi, mon corps
Ni encore sa pourriture
Une branche, des coquillages, des algues
Tout mon regard se lève de ces échoueries
Quand la pierre des falaises se fond à la brume en un sfumato de mer
La résonance de l’eau à l’eau, de la pierre à l’eau, de mon corps à l’eau et à la pierre
J’entre dans le paysage afin qu’il me parcoure

**

Ce que j’ai appris de l’écriture de Paroi, c’est ce versement d’une chose dans l’autre, d’une expérience dans l’autre, indéfiniment. Elles forment ces poèmes? Phrases? Écrits? Autonomes, l’une dans l’autre  ( comme une rosace de Dante analysée par Mandelstam) en un ensemble de résonances qui va des lieux à nous et de nous vers ces lieux, en une montée de transformations les unes avec les autres, les unes dans les autres.


***

Sur la plage de St-Félicité
Marcher vers l’est 
Un ruisseau et une petite falaise
Grimper où l’eau se jette à la mer
Près d’une maison rouge en surplomb
Pour passer de l’autre côté du massif d’ardoise
Ente les pins et les églantiers 
Où entrevoir la côte 
Sur ses pierres élevées
L’eau saline éclabousse en bas
Les pas suivent un sentier
Tracé depuis si longtemps
ll se confondra  avec la plage
Une fois descendu vers un boisé et le sable chaud

***


Le rivage condense toute la terre
En une ligne abrupte et souple
De pierre et d’eau, d'échouerie et de vivants


Le vivant, c'est ce qui parle avec moi et la terre, de moi, du vivant et de la terre.

***

Au lointain
L’assemblée des oiseaux
Sans paroles
Aussi légère que leur apparition
Au seuil de mon regard
Pour m’offrir l’Océan
Le vivant approche 
Marchant sur l’eau
Avec ses ailes et sa soif
De mots et de mémoires

***


Pour le fleuve
Il y a le lointain
Que ma main ne touche
Où la profusion décantée d’ailes et de bec
De nulle part apparus
Battant entre mes côtes
Exilé du littoral

***

Jusqu’où la parole poétique ou la poésie, peut-elle résonner d’elle-même. Les mots, les vers, en résonnance contre eux-mêmes, sont-ils l’extension du monde ou leur simple rapport, leur amplitude, qui indique la substance du monde?

Ainsi ces oiseaux, leur apparition, leur disparition, leurs mouvements, pour en rendre compte, les dire ou les faire résonner de mots...ou faire une nuée de mots...

***

Nuée de mots

Au bec    Quand de ses ailes
Éclaboussée    sans regard
Plongée jusqu’où   Je ne suis pas 
Je pose sur l’eau   Un instant marche
À l’envol    deviennent d’air
Et leurs regards       entre eux 
Leurs voix       sur le rivage
Mes yeux loin   plumes froides
Volée grisante        Les cormorans
Sur un rocher   ne rien faire 

***

Nuées 
Au contraire de la pierre
Où l’eau
Pour les mouvements
Et les proies
Que je ne vois
S’envolent rosacés
Flottilles aussi
Vagues perlées d’ébats
Non  au rivage debout
Dans l’océan qui noie
Ils se bercent

***

Qui dit nuée
Dit peut-être aussi nébuleuse
Chargée de poèmes
Composés où 
N’est pas fixé
En suspens
Attendant
Sur l’eau ou sur les rochers
Dans l’air en vol

***

Dessin

***

Sur la mer les oiseaux se déplacent en fonction ds marées et des poissons, au-delà de la limite ou non de mon regard.


***

Nuée du paysage
Dans mon regard
Je l’entends
Au loin qui se rapproche
M’entoure et m’enrobe
De ses oiseaux

***

Intempéries d’oiseaux
Flocons d’ailes
Tombent
Et reviennent au nuage
Si rapidement sur les eaux
S’éloignent avec leurs proies
Et la sensation d’un monde vivant
Que je ne peux atteindre

***

Nuée vibratile
D’ailes
D’éclaboussures
De proies soulevées
De vagues
Là, non loin
Inatteignable de la rive
Tout mon corps projeté en elle

***

Nuée de pierre
D’églantiers
D’algues
D’eau s’écoulant
De cormorans
De sables noirs ou dorés
D’où émerge la rive
L’étendue d’eau là-bas
Où plongent les cormorans
Où s’ébruite le fleuve
Et la falaise où bute mon regard
Quand j’entends le cri des mouettes
La nuée devient littoral
Je marche
Aux odeurs d’algues
Tant de vent
Tant de lumière
Qui dépose autour de moi le paysage
Et me dépose en lui

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