L’inachevé de la joie – 8

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Séquence 8, Lieu 7
Venicia, Canaregio
Chiesa di Santa Maria dei Miracoli
45,43980, 12.33937

Tout ce vent fissuré d’océan
Sur les gondoles
Attendant l’aurore à ma peau
Sur le glacis noir
Harmoniques des mouvements aux vagues

***

Du palais des Doges à l’Église Santa Maria dei Miracoli 

Dans ma mémoire, les choses (les choses des lieux, les objets des lieux) sont des masses plus ou moins distinctes ou précises, comme des ombres lourdes. Moins le souvenir est précis plus les ombres s’imposent.

Ajout : 2022-01-28

Le souvenir ( les images du souvenir) semble une recomposition d’une image, à partir de quoi, je ne le sais pas. Est-ce que nous emmagasinons les images comme des entités ou des ensembles sensoriels? Quelle est la place de la sensation du corps ( du corps et des sensations du corps) dans le souvenir? Le souvenir semble un temps, ou parle d’un temps, mais ce n’est pas le temps, ni l’image du temps.
L’image ou les sensations d’un corps en mouvement dans un lieu au moment(s) de ce corps. Mais ce temps n’est ni une sensation ni une image.

Église Santa Maria dei Miracoli.
Dans mon souvenir, ciselures de marbres roses. Dépouillée, sans ornementation. 
Grande peinture dans la nef. Silence. Beauté.

Bordée par un canal. Dans un campo. Le canal est traversé par un pont.

J’imagine ou je me souviens que je prends une photographie de cette église. Je n’ai pourtant aucune !

Le trajet longe la Riva delli Schiavoni. Un pont saturé - alourdi- de touristes, comme moi, comme nous, les débarqués du jour ou non. Même si je me crois unique, je ne le suis pas. Mais c'est peut-être un unique trajet qui me conduira ce jour-là à cette église. Cet événement unique de la progression de mon corps dans les calle et la surprise de la rencontre de cette église.

Le quai s’allonge en une lisière indistincte
Vers l’Arsenal
Jusque dans l’Adriatique

Les touristes n’ont pas de visages
Au-dessus du glauque un peu puant d’un canal
Où les gondoles et les taxis prolifèrent
Un peu plus loin il y aura la surprise de la Miracoli

***

Sans visage 
Ils prennent le masque
De la foule

Sa fébrilité 
Fait ressentir l’urgence de l’escale

Venise en 48 heures

****
 
Dans Google map on peut visiter Venise. Y découvrir des coins charmants, des émerveillements.
La beauté de Venise : surprise des assemblages inattendus très souvent harmonieux de briques usées, de pierres sculptées par l'eau, de fissures, de fer, d’ornements, des rappels de formes, des césures inattendues, flamboyantes, des murets panachés d’arbres qui indiquent un mystère. Des ramo qui ne laissent passer qu’un humain à la fois aboutissent à une impasse d’eau où partir, si on le veut, pour rejoindre l’océan, en bateau. 

Par ses harmoniques, Venise est un poème complet qui nous donne à l’Océan par son labyrinthe.

Le labyrinthe d’eau n’est pas le même que celui de la pierre. Ils s’entrelacent. Permettent des fuites divergentes mais accordées.

La pierre descend au fil de l'eau doucement vers Venise 
Pour être assemblée en ses fissures
Sans regret les briques dénudées de crépi
Annoncent ce que nous appelons le temps
Qui est notre corps de passage dans ses eaux
Qui coulent autour de nous
Elles nous disent mobiles et fugaces
Légers et furtifs

***

L’église dei Miracoli apparaît, sa teinte est le rose, elle a cette résonance dans mon souvenir.
Elle surgit dans la marche.

***

Église dans le silence
De ce qui tombe dans la lumière
La révélation d’être au lieu
Où l’écho se répercute
Jusqu’aux plafonds ornés
Qui écoutent les voix
Des émissaires de la joie ou des porteurs de la douleur

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2022-01-15

À l’éclaircie, là-bas
Un navire se profilera plus haut que la Salute
Au-delà de cette foule
Par les ponts et les canaux
Le cœur de silence de marbre 

Une vierge de bois passant entre les clairons de Monteverdi
Attend et n’attend pas le reflux du silence

***

Miracle de marbre au détour d’un calle.

Se répercute jusque dans la foule
Un instant elle tourne la tête
Vers le large où apparaît un point blanc
Sur l’Océan, un salut

***

Je marche avec la foule
Elle veut Michel-Ange, Le Titien, Le Tintorêt. 
S’agglutine, avance, attend, mange
Divisée sous le jugement dernier du Palais des Doges par Tintoretto
	
Ils sont sortis par milliers du ventre des navires
Avec le Caravagio
Son visage en pleine lumière
Découpé contre l’acier
Au-dessus des eaux qui amènent les passants
Devant les rouges et les ors de la peinture 
	
Du côté de la lumière ou de l’ombre
Dans cet afflux de miasmes et de respiration
D’un côté ou de l’autre du tableau
Au hasard d’un enfer ou d’un paradis

Hors des murs de la grand salle 
Chacun sur un calle, dans un vaporetto, au ristorante
Comme moi entre les jeux de l’eau et de la pierre
Pour étreindre la lumière de Venise	
Qui les délaisse aussitôt

***

Miliers de touristes du luxe des navires
Vers les Titiens, les Tintorets, les Véronèses
Agglutinés aux portes, téléphones aux mains
Selfies aux visages

Contre la carcasse noire d’acier
La lumière jaillit 
Le Caravage la peint

À la fin des promenades
Après le jugement dernier
La foule se divise malgré elle
En damnées et en élus 

Marie sort discrètement de St-Marc
Pour entendre un silence soudainement refusé
Entre les sueurs et les murmures
Elle me laisse seul 
Dans la salle du grand conseil des Doges
Pour que je décide de mon sort

***

De la foule des touristes
Caravage a-t-il un visage à peindre?
Surement pas le mien
Ni celui de ceux dont je n’ai aucun souvenir
Un trait, la bouche, les yeux, le nez
De ces visages oubliés
Caravage peut-il de la Giudeca inventer un corps
Émergeant du noir des entrailles du paquebot
Qui défigure Venise?

**

2021-01-17

Devant le paquebot noir
La figure émaciée d’un Syrien
Caravage de lumière et d’ombre
Offre à la foule le miracle
Qu’elle n’attend plus

Un après l’autre chacun
Migre d’un pas vers le visage 
Émergeant d’un néant détruit

À l’instant même de son apparition  la foule s’en empare
Pour nier à Venise sa lumière

Pourquoi avec les autres n’ai-je pas sauvé
La plus petite part de la grâce et de l’amour
Que le pinceau du peintre a tracé?

***

Il n’y a pas plus de preuve de l’existence du néant que de preuve de l’existence de Dieu.
Cet univers construit et reproduit son espace et son temps.
Dans cet univers, la règle est la création des étoiles au feu nucléaire de leur fusion et les planètes sphériques qui les entourent.
La vie est une des conséquences de son organisation. 

Mais dans cet univers qui créé la vie, celle-ci peut-être détruite (tout comme cette matière qui en est le substrat) en une fraction de seconde. À l’horizon des évènements. (En fait la matière est véhémente selon Rocavelli.)

Ce qui assure les conditions de notre vie est ce qui assure que notre destruction sera complète et inéluctable. 

***

Mon petit néant personnel
Devant un Caravage

Dans cette lumière qui éclaire un visage ravagé
Qui n’est pas le mien
Ni celui des touristes

Elle me pousse et m’effleure
Me laisse le passage ou empêche le regard
Pour solliciter le miracle
Captée par des mains, des yeux et une bouche en furie

***
La foule venue de la place des Doges
Avec nous sur le Ponte della Paglia
Où l’horizon imagine pour nous son océan
À partir de l’or du Redemptore

Nous, puisque je suis dans cette foule
Nous nous fuyons
Pour un calle désert
Un floc d’eau le long des marbres d’une église
Qui nous donne l’écho des silences de jadis

***

Eau ancienne 
Sur le flanc du mur noir
Contre le Redentore
D’où surgit le visage du migrant
Du tableau imaginé de Carravage

Les visages du Caravage
D’un mur halluciné
Traits de lumière le long des corps
Estompés des touristes
Se noyant dans leurs foules 

Et je lève le bras



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